Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Guyane 1994

25 février 2008

SautSonnelle 1

 

Je dédie ces quelques pages à Colette qui m’a aidé et incité à entreprendre ce voyage aux antipodes, bien qu’il lui en coûtât, je présume.
Je lui dois la concrétisation d’un rêve d’enfant enfoui pendant 47 années, qu’elle a su extraire de cette léthargie sans le savoir mais en discernant le secret désir qui commençait à sourdre de ma mémoire.
Le 06 10 1994, j’ai découvert à posteriori que je devais connaître cette aventure, elle était inscrite, programmée depuis ma plus tendre enfance et toujours présente dans mon subconscient.  “ Coq hardi “, c’est tout un symbole; que ne voit - on point ce superbe gallinacé, notre emblème  national, fier,   altier, agressif dans le bon sens du terme, se pavaner sur le gazon au cours de rencontres sportives internationales, représenter tout un   pays, une nation.
“Coq hardi” est sans aucun doute l’élément déterminant de la première tranche de ma vie d’homme.
Revenons sur terre et en Guyane. “Coq hardi”, illustré hebdomadaire des années 47 narrait en particulier une aventure que je lisais avec délectation, elle m’effrayait et était à l’origine de mes cauchemars.
Il s’agissait des " écumeurs du maranon” avec les boucaniers de l’île de la tortue, les Caïmans, et .............

Ces quelques pages  auront un titre:

                           LES  ECUMEURS  DE  L’ININI

Où la folle équipée de deux sarthois qui veulent jouer aux Amérindiens.
Je les dédie également à Bernard, l’initiateur, la cheville ouvrière de notre odyssée, mon compagnon d’infortune,
(les lingots dorment encore au fond de l’Inini), toujours d’humeur égale, discrète mais efficace, (piranha de 3 kg) et généreux dans l’effort. A  quitté la terre guyanaise avec un grand regret, ce qui peut  justifier à mon avis un troisième voyage avec pour thème unique :  « le singe hurleur ».




                          LES ECUMEURS DE L’ININI

Samedi,  10 09 1994 - Le Mans 14 heures

Je ne ressens ni la joie ni l’exaltation du départ vers un pays lointain, vers l’inconnu.
Je ne suis pas triste,  seulement mélancolique, je te quitte pour deux semaines,  peut-être vaut -il mieux que tu ne viennes pas à la gare.
Sven m’invite à prendre un café, ultime recommandation :
attention aux Caïmans, ils attrapent leur proie, l’enfouissent dans la vase et la dégustent en état  de décomposition avancée. Merci Sven.
Au revoir ma chérie, je t’aime.

Dimanche 11 09 1994

Départ Orly sud, 11 heures  30 (une heure de retard, bagages suspects en trop).
Bienvenue à bord avec le Ti-Punch, A O M oblige.
Vol agréable, arrivée Cayenne  15 heures, (décalage horaire: 5 heures),.

 

 

Rochambeau

Je ne connaissais pas Bernard sous cet angle. À peine arrivé à l’aéroport de Rochambeau, il se précipite vers le bar.

Une  large bande jaunâtre ourle la côte, ce sont les alluvions déversées par les fleuves  Amazone, Oyapok, Approuage, Mahury, Sinnamary et Maroni pour les plus importants. Température : 31° à l’ombre.
Nous louons un véhicule et nous dirigeons vers l’hôtel la «  Chaumière » situé à mi-distance entre l’aéroport de Rochambeau et Cayenne, où nous sommes attendus.
Configuration géographique : en bordure de mer une étroite bande de terre rouge, au-delà, la  forêt, elle est présente à quelques centaines de mètres et exerce déjà sur moi un mélange irraisonné d’envie  :  la découvrir immédiatement,   la vaincre, mais aussi de respect car elle impressionne.

H_tel_la_chaumi_re__fleurs



Hôtel  « La Chaumière », des fleurs à faire rêver Colette

Des mygales traversent la route goudronnée ...................
Lapsus ....... La route “colassée”, (  c’est l’entreprise COLAS  qui a effectué les travaux (nous sommes en Guyane) .
Notre correspondante à “Saut Sonnelle” , Madame Lassort nous rend visite, accompagnée de Mireille (guide et amie de J.R.). J’ai le sentiment que ce qui nous est concocté est à la hauteur de mes espérances.
Une petite ombre au tableau - un intrus - qui plus est, un Sarthois, va perturber un tantinet notre emploi du temps.
Jacques Bouillaut, le maître incontesté de la jungle est parmi nous. Accueil enthousiaste, c’est un “pays”.
La piscine est à deux pas, température idéale.

Lundi   12 09 1994  15 heures

 

 

H_tel_la_chaumi_re

Hôtel « La Chaumière », déjà Bernard veut grimper aux arbres,je l’en empêche , bien sûr. 

Bernard se repose, il n’a guère dormi cette nuit.
À six heures ce matin, heure à laquelle il commençait à ronfler, je tambourine à sa porte pour qu’il vienne se baigner avec moi, (l’avenir appartient aux hommes qui se lèvent tôt), pas de réponse, je fais sonner à sa chambre, rien, il dort du sommeil du juste, le bougre.
Matinée réservée à la visite de la capitale, il fait très chaud, temps nuageux, un peu d’air maritime, la ville est sale, mélange de population (blancs, noirs, jaunes), mélange d’odeurs, senteurs de parfums  exotiques divers.

 

 

 

 

Cayenne__place_des_palmistes

 

Cayenne : place des palmistes, anciennement place de la savane. Les palmistes sont originaire de Rio de Janeiro, et un de ceux-ci connut une renommée internationale, car il eut la singulière particularité de croître avec deux têtes : c’est le fameux « Palmier bifide ».

Après la sieste réparatrice de Bernard, nous préparons les sacs à dos, c’est - à - dire que nous entrons dans le vif du sujet et commençons à entrevoir la dure réalité.................
Ma chérie tu es allée à la brocante de  Fercé dimanche, erreur, c’est dimanche prochain, signé Colette ..................

Mardi 13 090 1994

Adieux déchirants, j’ai failli y laisser la patte du pantalon. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, je n’ai pas fait la conquête d’une Brésilienne mais d’une Allemande.
Elle me saute au cou, se permet de cacher une de mes chaussures, me lèche le visage, se couche à mes pieds, c’est  “Bunky” , jeune chienne berger Allemand.

vue_d_avion

 


          

Nous volons vers Maripasoula, au-dessous de nous : la forêt, que la forêt.

Je n’ai pas craqué, ma chérie. 9 heures 30 nous décollons de Rochambeau pour Maripasoula, une heure de vol, pilote et copilote opèrent avec beaucoup de désinvolture, ce sont des purs produits du cru. En bas la forêt, rien que la forêt, toujours la forêt.



  A_rodrome_de_Maripasoula         

Aérodrome de Maripasoula, les passagers attendent le coucou, assis  sur leur valise, sous un arbre.

Maripasoula, 1700 habitants, des “bonis” ”(noirs, ex -esclaves), quelques blancs. Les rue ne sont pas “Colassées” il a plu, de la boue rouge, les amortisseurs du  ““Voyagers”  ont rendu l’âme certainement au premier voyage, chaleur humide.
La pirogue nous attend, amarrée en contre - bas, près de la gendarmerie.

 

 

Bernard_en_pirogue





   


Le Maroni, cap sur Saut-Sonnelle. On sent une confiance inébranlable animer cet homme au regard droit et conquérant

.

Publicité
Publicité
25 février 2008

Saut Sonnelle 2

Air_Guyane___Maripasoula

Non, ce n’est pas une farce, ni un gag, ni une plaisanterie. Point n’est besoin d’air conditionné, de tapis roulants, il s’agit bel et bien de l’aéroport international de Maripasoula, et si la bicoque est à l’image du village, l’hôtesse, par contre est très, très, très charmante.

Destination “Saut Sonnelle”, trois quarts d’heure de pirogue, une partie du Maroni et ensuite l’Inini.



Qui_mire_son_front




               Je sais une forêt au fond d’laGuyane
               Qui mire son front dans le fond des eaux
               Dans l’eau claire d’une rivière…



      





un_saut   

Sur l’Inini, au fond la barrière rocheuse au milieu du fleuve, on              appelle cela un « Saut »


Jean_Robert



Jean-Robert, le regard scrutateur : est amoureux de sa forêt, de son fleuve, et de … Mireille.




arriv_e___Saut_Sonnelle


 


Arrivée à « Saut-Sonnelle ». Dans ces eaux tourbillonnantes et tumultueuses, il faut pousser le moteur à fond pour forcer le passage du rapide (saut) entre deux rochers. Un travail d’orfèvre (la région s’y prête).


Saut_Sonnelle__l__den


Nous arrivons dans un paradis verdoyant, pelouse, bananiers, citronniers, etc. au beau milieu de la forêt primaire, d’apparence tranquille, mais qui suscite chez moi beaucoup d’interrogations.
Nous faisons la connaissance de J.R.     (Jean-Robert, le guide), Tatie, (  sa tante), Bruno le cuisinier, et Patt l’Irlandais.
Déjeuner de bienvenue, cuisine excellente, tipunch midi et soir, il faut chasser les moustiques. Tatie est envahissante et adorable, elle parle beaucoup, je lui pardonne eu égard à son âge.
Après - midi, petite ballade en forêt avec Patt pour se dégourdir les jambes.
Première nuit dans un “carbet”, retrouvailles avec le hamac.







   

« Saut-Sonnelle » : l’Éden au beau milieu de la forêt tropicale est
devenu territoire de la verte Érin où Patt y a planté son carbet. Il peut même chanter :  « Un oranger sur le sol irlandais… ». Certains soirs, il doit même voir défiler des éléphants blancs.

Mercredi 14 09 1994

Bien dormi, rien entendu, rien vu. Je commence à ne plus supporter Bernard, mes ronflements à ses dires ont fait fuir les singes hurleurs, il est de mauvaise foi. Il est 8h30, le ciel est bleu et il fait déjà très chaud. J.R. a  une crise de palud, il nous assure être guéri dans deux jours, nous voilà rassurés.
Nous visitons un village indien sur l’Inini, Ted Amali. Un coin de forêt est défriché (brûlis) ,  quelques carbets (huttes) ,  quatre à cinq familles vivent de la pêche, de la chasse, cultivent des tubercules, plantent des bananiers, servent de guides, encore faut - il les solliciter d’une manière pressante car ils sont très oisifs mais certainement très heureux.
Nous achetons de leur pain (cassave), le seul qui peut supporter une expédition en forêt et sur le fleuve car il est dur comme le bois d’angélique. Il faudra m’expliquer pourquoi ce prénom féminin doux et tendre comme la rosée du matin a été donné à un bois dur comme de l’acier trempé.
Nous visitons également une exploitation d’orpailleur, toujours sur l’Inini, leur moteur est en panne.Les explications sont en Anglais (le Guyana n’est pas loin) sur le fonctionnement, heureusement   Patt nous traduit ... en Irlandais....... :
Une pompe aspire, quand elle n’est pas en panne, l’eau du fleuve, celle - ci est déversée dans une tranchée et mélangée à la terre pour former un magma de boue, une autre pompe aspire ce magma pour le diriger sur un tamis.
Combien d’or ?  Un sourire évasif pour seule réponse......
À  notre tour, nous nous déguisons en chercheur d’or dans un autre endroit seul connu de Patt mais avec des moyens beaucoup plus obsolètes : pelle, battée, seau.
Savez-vous qu’il faut extraire un mètre cube de terre pour récupérer un gramme d’or, dur labeur pas cher payé, il vaut mieux travailler à la caisse d’épargne. Patt a trouvé une paillette, mon seau est plein, dix kilos de terre boueuse, deux litres de sueur, un mètre cube, combien de litres ? Récompense : une paillette d’or dans la battée.
Et s’il n’y avait que la transpiration ?.......
Bernard n’a a pas oublié sa caméra, peut- être nous filme-t-il ? Non point, il est très affairé, c’est moi qui aurais dû le filmer. Il se frappe, se cogne, se gifle, se flagelle, s’invective, jure, tempête, crie,
gesticule, se contorsionne, vilipende, peut -être a - t - il déjà attrapé la “ dengue “?
Non, autour de lui c’est une ronde infernale, effrénée, une nuée de taons qui le harcèle, le pique, le taraude.
Pour Bernard la clé de la réussite, c’est d’investir dans une combinaison de scaphandrier.
Un groupe de trois personnes nous a rejoint et nous partons découvrir un itinéraire encore visible tracé par les Aztèques. Les dames commencent à paniquer, notre guide, l’inénarrable, le légendaire Patt donnant l’impression de s’être perdu.

Patt_et_JCB

Deux hommes au cœur tendre et de très bonne éducation… Patt et Balisson cueillent des fleurs sur le bord de l’inini au risque de leur vie pour les offrir… Au choix : La Habenaria Militaris, l’Ondontonia Salam, la Laclio Cattlya Sortilège, la Gastrorchis Françoisii.

Patt a la mine sombre, j’ai su par J.R. que la Tatie, au demeurant charmante avec ses hôtes a un contentieux avec l’Irlandais et surveille de très près sa consommation de tipunch et de vin.
Une visite à Tolinga est prévue, le visage de Patt s’éclaire puis s’illumine quand il apprend qu’il doit nous y convoyer, le pauvre, il ne sait pas encore.
Tolinga, un autre petit paradis en construction, genre quatre étoiles avec chambres climatisées. Un couple de métros sue sang et eau, c’est un travail de titan et je leur souhaite de réussir. Je suis chargé de mission par J.R. de ne pas servir de tipunch à Patt. Au retour il accroche une branche avec l’hélice, peut - être ai - je  eu tort . Que peut - il bien se passer dans sa trogne d’Irlandais, ce soir, il est plus sombre que la forêt à minuit.
Bernard désespère, toujours pas de singes hurleurs.
Ma chérie, que tu es loin, je pense à toi, je t’aime.
Un nouvel hôte et non des moindres, notre maître à tous, le jungle man à la barbe blanche, tenue de brousse, petit  mais râblé, ,  le vétéran de la pampa, l’ancêtre de la savane, l’antédiluvien de la forêt amazonienne, le dinosaure de la steppe, il est là, parmi nous, je le nomme :
Jacques Bouillaut. À peine arrivé il déniche une mygale. Émoi dans l’assistance, une mygale? Où était - elle? Et lui, suavement, en direction de ces dames : dans la douche.
Cris d’effroi, il a bien réussi son entrée. Il est vif, pour son âge, brillant, narre admirablement, nous sommes suspendus à ses lèvres et il le sait le mécréant, tout y passe, du roi de la jungle au plus petit insecte, du grand méchant loup à la tendre gazelle en passant par sa nuit d’amour avec la plus jeune des filles du chef du village, la soirée est à lui et tout le mérite lui revient.  .........Bravo Jacques...................
Il s’endort dans un hamac à côté du mien, le sourire aux lèvres, heureux et tout un monde d’animaux les plus divers, les plus féroces, des plus venimeux aux plus doux et gentils va peupler ses rêves... Merci Jacques....

Jeudi 15 09 1994

Un crapaud et les  ronflements sonores de Bernard, ronflements dus aux tipunchs absorbés en trop grande quantité, m’ont réveillé cette nuit.
Aujourd’hui chasse et pêche avec Wahinou, un indien venu avec sa femme et ses deux enfants et qui a bien voulu servir de guide.

Famille_d_am_rindiens


Une famille d’amérindiens : Wahinou et son épouse, Thomé-Thomé, le jeune garçon et Agnès sa petite sœur. Ils sont venus pour quelques jours à « Saut-Sonnelle » pour y faire quelques travaux, et nous ferons une sortie chasse-pêche avec le père et le fils.

Chasse : néant, pêche : néant.



Piranha

Retour à Saut Sonnelle, Bernard se fâche, prend sa ligne, amorce avec ce qui lui tombe sous la main, une aile de poulet et tire un monstre, un Piraye (Piranha) de trois kilos, le tout en cinq minutes. On dit que la colère est mauvaise conseillère. Monsieur pavane devant les dames béates d’admiration (pour le Piraye). Peut - être croit - il encore aujourd’hui qu’il était le centre d’intérêt, le héros. Pauvre Bernard.
Tout est filmé, le Piraye, Bernard il manque   F.R.3.
Je n’ai pas tous ces honneurs, mon Piraye ne pèse que 200 g.

 

L’écumeur prédateur et sa proie : un Piranha de 3 kilos. Sourire crispé, non point par l’effort, mais par la trouille.

Nous descendons à Maripasoula pour téléphoner à Andrée et à Colette, nos deux chéries que nous savons éplorées et inconsolables. Les mauvaises langues diront que le prétexte était de boire une bière bien fraîche.
Retour de nuit sur le fleuve - superbe mais angoissant.
Demain la grande aventure, le sac est prêt : 12 kg environ.

Vendredi 16 09 1994 ........   LA FORET ............................

Nous progressons à partir de Saut Sonnelle, de la rive opposée dans un layon (sentier balisé) ,  J.R . le guide, Mireille l’autre guide, Bernard  et moi ;
Marche difficile, terrain accidenté aux multiples embûches.
Lianes rampantes, chaleur lourde, épaisse, cent mètres de marche dans cette forêt inhospitalière et, nous sommes trempés jusqu’aux os , maintenant plus rien ne séchera.
Végétation luxuriante mais pourrissante au sol, senteurs diverses, des cris aigus, rauques d’oiseaux qu’on ne voit pas, ils sont

25 février 2008

SautSonnelle 3

présents autour de nous, au - dessus de nous, à 30 - 40 mètres sur la cime des arbres, invisibles. Un craquement sinistre, au loin un arbre tombe en entraînant d’autres dans sa chute.
Instinctivement nous pressons le pas malgré la difficulté du terrain.
Midi, une halte, une soif inextinguible a eu raison de nos gourdes, Mireille et Bernard sont de corvée d’eau, J.R. et moi recherchons la tête d’un pécari tué, il y a quelques mois, disparue, les fourmis et autres nettoyeurs ont fait leur oeuvre.
Nous repartons, les bretelles du sac à dos nous scient les épaules. Il nous faut arriver avant la nuit au carbet   Saïmiri.
La fatigue tétanise nos muscles et notre attention est moins soutenue, les pieds butent sur les racines, accrochent les lianes, les réflexes s’émoussent, l’allure devient saccadée et mécanique et pourtant Bernard taille, coupe, manie avec dextérité sa machette tranchante comme un rasoir, un faux mouvement, une mauvaise appréciation de la trajectoire et c’est la blessure grave, quand je dis qu’il est généreux dans l’effort.

progression_dans_la_for_t               

Tout au long de la progression en forêt, il faut jalonner le layon avec des repères imputrescibles, tels que témoins en matière plastique de différentes couleurs, noués sur les troncs à hauteur d’homme, tous les 50 mètres, et également de le peinture à bombe fluo.

Il fait presque nuit, on installe la bâche, les hamacs, une poutre porteuse ne sera pas assez solide pour soutenir quatre hamacs. Avec J.R., nous coupons un arbre, je suis sensé l’éclairer, mais mon attention est sollicitée par autre chose de plus important, j’ai les deux pieds dans un nid de fourmis géantes, elles sont des milliers sur mes jambes, sur mon pantalon, j’en ai partout, je saute, je m’ébroue et pour en finir je quitte le pantalon, J.R. rit à gorge déployée, il m’apprendra un peu plus tard que cette espèce n’est pas méchante.
Nous nous lavons dans la crique (ruisseau qui serpente dans la forêt) ,  l’eau y est claire et potable, pas besoin de cachet d'hydroclorazone, nous vivons à l’indienne.
Un feu de bois, il faut savoir allumer le feu avec du bois mouillé,   une pintade coupée en quatre cuit sur la braise, nous dînons à la nuit noire. Des bruits divers, étranges, le cri lancinant d’une grenouille nous vrille les tympans, elle ne s’arrêtera qu’au petit matin.
Je m’endors, tu es dans mes bras.

Samedi 17  . 09 . 1994

On lève le camp, tout doit réintégrer le sac à dos : la bâche, le couchage, les  vêtements trempés qui dégagent une odeur nauséabonde, les gamelles. Le sac se fait plus lourd, les jambes également.
Aujourd’hui nous ouvrons un layon, ( chemin) ,  machette, topofil, (  le fil d’Ariane ), carte, boussole, marqueur, balises colorées, la progression est encore plus lente, il faut débroussailler et ne pas se perdre. Nous sommes agressés par une légion de taons qui s’acharnent plus particulièrement sur Bernard, je lui conseille de se laver le matin. Aucun animal ne se manifeste, ont - ils devinés que je suis armé?  Une belle grenouille, jaune, noire, verte, une Dandrobate, elle est mortelle. Tout ce qui  revêt une belle couleur vive est réputé dangereux.
Halte à midi, sac à terre, on a l’impression de grandir de vingt centimètres; faim : non, soif : oui, surtout depuis que J.R. m’a a fait goûter à l’écorce de quinquina, c’est amer comme du fiel. Repas frugal, il nous faut déjà repartir.
Vers seize heures, nous arrivons en vue d’une crique, pas de carbet, il faut donc l’édifier. Ici la machette est un instrument universel, on creuse, on coupe, le carbet est solide, les poutres porteuses sont en bois très dur que la lame de la machette a du mal à entailler.
Le carbet s’appellera : BALIGO  : pourquoi ?
Parce que :  BALIsson  - biGOt.
Au menu: crevettes de la crique : délicieuses. Avant d’aller me coucher je vais remplir ma gourde, j’entends un énorme “plouf” à côté de moi, bien évidemment, un des trois ou les trois hurluberlus me font une farce en lançant un pavé dans l’eau, ils se tordent de rire en pensant à un bain forcé, que nenni; alors quoi, qui, on commente, on suppute, il n’y a que trois possibilités:
- Soit un caïman, soit un aïmara, soit un anaconda.
Peur rétrospective, l’ai-je échappé belle ou l’ai-je inspiré ?   
Un orage éclate bref mais intense, bonne nuit mon amour.

Dimanche 18.09 .1994

Aujourd’hui, jour du seigneur, à partir de maintenant il faut faire très attention où nous posons les pieds, nous sommes sur le territoire du serpent le plus dangereux, le seigneur des lieux, (  Bouchmaster ou Grage à grands carreaux) dont le seul prédateur est la harpie (oiseau rapace). Quatre heures après sa morsure, c’est la mort assurée si vous n’êtes pas hospitalisés, de l’endroit où nous sommes, il faut six heures pour nous évacuer.
Midi, la pirogue est au rendez-vous sur le Maroni, nous apprécions une bière bien fraîche en territoire étranger, le Surinam. Retour à Saut Sonnelle, panne de moteur au beau milieu du fleuve, J.R. répare. Qu’il est doux de retrouver la “civilisation” , un bon bain dans l’Inini, du linge propre et sec et la cuisine de Bruno.

   

« Saut-Sonnelle » :Pour la douche : vous avez le carbet. Dans l’Inini on prend son bain, on lave la vaisselle et le linge, on fait ses gros et petits besoins.

bain_Bernard

Prenons cet exemple : Photo N° 1  Tout ce que Bernard va évacuer, par inadvertance, bien sûr, sera englouti, derechef, par les Pirayes que Bernard va s’empresser de pêcher pour les manger. C’est ce qu’on appelle la chaîne alimentaire. Bon appétit…

bain_JCB

Photo N° 2 : c’est la même chose, mais dans une position différente, il faut respecter les usages, les traditions et les habitudes de chacun.

Au revoir ma chérie, tu ne m’en voudras pas, je sombre immédiatement dans les bras de Morphée.






Heureux_qui_comme


Heureux qui comme Ulysse a fait une randonnée
Plus mon Huisne sarthoise, que le grand fleuve Lawa
Plus mon île d’Yeu, que les monts Atachi Bacca
Et plus que la Guyane, ma femme adorée

La fortune vient en dormant. Un paradoxe dans ce pays où celle-ci est synonyme de sueur et de sang. Mais on peut rêver, n’est-ce-pas, Bernard.


Lundi 19. 09. 1994

Après un sommeil réparateur, bon pied (un seul) bon oeil une journée de repos n’est pas de trop, je panse mes blessures (ampoules). Il nous faut laver notre linge, préparer le sac et toute l’intendance pour demain, nous partons cinq jours sur le fleuve Inini. J. R. nous propose d’aller à Maripasoula, je l’accompagne, j’ai envie de te parler, de t’entendre, la communication est mauvaise, ta voix est à peine audible, 8000 kilomètres nous séparent, mais un court instant tu es avec moi.
Jacques  est parti avec pour compagne sa mygale qu’il a planquée dan   s son étui à lunettes, c’est formellement interdit et il est passible d’une peine de prison. Une mission lui est confiée, vous donner de nos nouvelles.
Ce soir nous sommes une quinzaine à table, trois couples dont un de chercheurs d’or à la mine Dorlin exploitée par des Canadiens, lui est Français, elle Brésilienne, et puis comme dans  un roman, la mante religieuse, la croqueuse d’hommes, l’égérie, quarante ans, belle femme, brune nymphomane, désaxée. Avec celui sur lequel elle a jeté son dévolu, un garçon de 25 - 30 ans, paumé, qui a quitté son boulot pour la suivre ils participent aux tâchent ménagères, elle, fait office de guide, anime les soirées en racontant avec force détails sa vie de femme riche, aimée, comblée et qui a tout quitté pour venir vivre à   Yaou à quelques encablures de Saut Sonnelle. Ils sont seuls tous les deux, pour combien de temps?

Mardi 20.09 . 1994

Nous appareillons, les canoës sont chargés à bloc, nous formons deux équipages :
Mireille et Bernard,

Bernard_et_Mireille_en_cano_




Mireille à la barre, Bernard le « takariste », la manœuvre semble difficile, pour ne pas dire périlleuse. Mireille a choisi le meilleur compagnon pour naviguer en eau trouble.

J . R. et moi.
Pourquoi Mireille et Bernard ? Serait - ce que son front largement dégarni et ses tempes grisonnantes  opèrent un charme particulier et irrésistible auprès du sexe féminin ou J. R. a - t - il jugé qu’il n’y avait aucun danger à les laisser cohabiter. Ne le saura - t - on jamais ?
Mireille et J. R.  sont à la barre, Bernard et moi  assumons la périlleuse tâche de takariste, mission très délicate qui consiste à signaler les obstacles  par gestes codés et sonder à l’aide d’un takari, (perche).
Prévisions: une journée de navigation difficile, nombreux écueils, troncs d’arbres, branches.
Alerte: un Maïpouri (tapir)    en vue, 250 à 300 kilos, quelques photos, J. R . tire, blessé l’animal plonge et réapparaît sur la rive opposée, autre coup de feu, une chiquenaude pour notre tapir, J . R . n’a pas choisi les bonnes cartouches, le tapir s’enfonce dans la jungle, il survivra, son cuir est très épais.
Midi, repas sur un banc de sable. Prochaine étape, saut “ S” où nous passons la nuit. Ce saut est difficile, il faudra débarquer tout le matériel, sortir les moteurs et porter les canoës.

Mercredi 21 09 1994
Départ pour saut “Batardeau “, le fleuve se rétrécit, nous apercevons des urubus, harpies, des oiseaux divers et colorés et sommes toujours accompagnés par le sempiternel oiseau sentinelle, invisible mais omniprésent.
Saut “Batardeau “ il nous faut construire un carbet, nous sommes devenus des spécialistes, l’accès est difficile, le saut est proche, la chute est bruyante et risque de perturber les enregistrements sonores de Bernard. Un comble, c’est l’absence de singes hurleurs qui est la cause de ses insomnies.
Bernard récidive, ce grand pêcheur devant l’éternel prend un Aïmara, grâce à lui nous mangerons autre chose que des conserves.

un_a_mara


Belle prise : « un Aïmara », poisson carnivore à la mâchoire redoutable



Journée chasse à l’Iguane, rien, ni animal ni oeufs, journée pêche, ça mord sans arrêt, je suis maudit mon appât  ne tient pas. Nous nous engageons dans une crique où le caïman abonde, on nous a déjà précédé, l’eau a beaucoup baissé et la navigation est dangereuse. Retour à saut “Batardeau” , J. R.  et Mireille tuent deux caïmans, le repas est assuré.


Chasse à l’Iguane et à défaut à leurs œufs. J R le prédateur à l’œuvre. Ici à Saut Equerre, le grand Inini n’est pas pollué par l’exploitation de la mine  d’or de Dorlin. L’eau est claire, comment pourrait-il en être autrement ? Nous sommes au confluent de la crique « Eau Claire » à Langa-Soula.

Trois espèces sont représentées en Guyane :
- Caïman chien dit caïman rouge
- Caïman à lunettes dit caïman blanc
- Caïman noir

25 février 2008

Saut Sonnelle 4

Ces espèces sont protégées mais plus particulièrement le noir, seuls les guides ont le droit de tuer mais uniquement pour manger.
La chair de nos deux caïmans chiens est excellente.

Jeudi 22 . 09. 1994

Chasse à l’iguane, c’est le moment de la ponte, il creuse une profonde galerie sur un banc de sable (tellens).
Technique de chasse : plonger le bras dans le trou, lui attraper la queue sans tirer, elle pourrait casser, remonter la main vers la tête et extraire l’animal. Si ce dernier a eu le temps de préparer sa chambre et de se retourner, à ce moment-là vous êtes en présence de sa mâchoire..........
Bredouille et pourtant le long du fleuve, de temps à autre, un iguane lézardant sur une branche surplombant la rive, dérangé par le bruit du moteur, se laisse choir à quelques mètres devant le canoë et disparaît dans la forêt sans demander son reste. Effet de surprise très désagréable et crainte justifiée quand on sait que l’anaconda, serpent qui peut atteindre 10 mètres de long, opère de la même manière mais pour attaquer.

oeufs_d_iguanes

Nous avons enfin la chance de trouver 60 oeufs d’iguane dans deux nids.
- Préparation : un court-bouillon, sel, poivre, épices de là-bas, dit, oignon, ail, cuisson : deux heures.
- Présentation : de la taille d’un petit oeuf de poule, couleur blanche, l’enveloppe est une peau souple et résistante ne renfermant que du jaune.
- Dégustation : prendre délicatement (c’est un met très apprécié des indiens  ) l’oeuf entre le pouce et l’index, le présenter religieusement à sa bouche, le pousser lentement dans la cavité buccale pour s’imprégner de la sauce, couper avec les dents la peau à l’extrémité et dans le même temps aspirer énergiquement. Vous ne venez pas d’accomplir un acte superfétatoire, il est indispensable car je ne le répéterai jamais assez, c’est tout simplement savoureux.
Fin de la journée, préparatifs pour la pêche à l’attrape : il faut un arbuste de 3 cm de diamètre, un mètre de corde, un bas de ligne,   câble de frein de vélo) ,  un énorme hameçon et un gros morceau de poisson.
- Technique : planter une perche profondément à 45° sur la rive, fixer la ligne, accrocher l’hameçon sur la perche et attendre la tombée de la Nuit. Amorçage des lignes, 30 cm dans l’eau, le résultat : le lendemain matin de bonne heure:  poissons potentiels : Aïmaras, Houis.
Retour au carbet, ce soir repas royal : oeufs d’iguanes.

Vendredi 23 . 09 . 1994

J’ai évoqué précédemment la nuisance provoquée par la chute d’eau, son bruit occasionne  une gêne pour Bernard qui espère toujours enregistrer les Babounes (singes hurleurs). Il formule sa demande de changement de camp en trois exemplaires, déformation professionnelle, dont un pour les archives de Saut Sonnelle, me demande courtoisement mon avis, pas de veto, la cause est entendue, attendu que tout le monde est d’accord. On plie bagages et direction camp “Ivan “. Une pensée à mon petit frère qui a participé également à cette aventure en me prêtant tout l’équipement, il se prénomme Ivan.
Je remercie également Yannick, deux ans de Guyane chez les pros du R.E.I. dont les recommandations et les conseils m’ont été très utiles.
Tout le monde au bouillon, il faut tirer les canoës, on  en profite pour se ré hydrater, je glisse, je dérape, le rocher a eu raison de mon tibia, du sang, les piranhas adorent, pas de panique, mais je me hisse dare - dare dans l’embarcation.
Camp  “ Ivan “, un carbet nous attend, heureusement, s’il avait fallu en construire un, Bernard était à  l’amende. Nous partons sur le fleuve tous les deux à la pêche, sans arrêt des touches mais nous rentrons bredouilles. Le temps s’assombrit, l’orage gronde, il était impératif de rentrer, une pluie diluvienne chaude, des trombes d’eau s’abattent sur nous, heureusement le carbet est un abri solide. En cette saison, les orages sont de courte durée. Le fleuve exhale une brume dense et laiteuse, nous sommes noyés dans un bain de vapeur avec la sensation d’étouffer.
Il est prévu de chasser le caïman cette nuit.
21 heures, nous partons en file ... indienne sur le fleuve.
Les lampes frontales balayent les rives  de droite à gauche et de gauche à droite, j’en oublie de scruter le fleuve à l’avant du canoë, ce qui me vaut de me faire apostropher par J.R.
Nous cherchons deux rubis dans la nuit, à droite c’est un gros me précise J.R., mais il est inaccessible, il faut traverser un marais pour parvenir jusqu’à lui. Un autre plus loin sur la gauche, je ne suis pas à l’aise de ce bord-là, que voulez - vous, je suis dextrogyre mais ce n’est pas une tare bien au contraire, d’ailleurs notre caïman s’en bat l’oeil, son oeil rouge qui le trahit nuit traîtresse pour le caïman. Nous approchons lentement à la pagaye, deux mètres, un mètre, J.R. tend la perche au bout de laquelle est fixé un collet. Le bougre s’est envasé, c’est déjà bizarre, comment le garrotter, si le collet lui touche le museau c’est foutu. On risque, il ne bouge toujours pas, le collet  glisse sur son museau, il ne bronche pas, le piège se resserre, curieux aucune réaction, J.R. l’extrait de sa gangue de boue, il est “ caïman “ inerte, méfiance quand même, il le hisse dans le canoë, commence par le ligoter, le ficeler, le bâillonner, il est calme, stoïque et vivant puisqu’il vagit, (comme un nouveau - né le caïman vagit).
Totalement inoffensif de par les liens qui l’enserrent nous n’avons plus de raison de craindre un coup de Jarnac.
On se perd en conjectures sur le comportement de cet Alligator, bast; peut - être a - t - il la maladie du sommeil.
Retour à camp “ Ivan” , Alfred est dans un sac, bonne nuit.
Dans l’après-midi ,  J.R. a pêché une raie pastenague, 80 cm de diamètre, une belle bête par la taille mais une espèce très dangereuse dont le dard d’une vingtaine de cm muni d’un ardillon est plus redoutable qu’un poignard.
J.R. peut en parler savamment, il a été meurtri dans sa chair : six mois de guérison.
Premier réflexe : couper le dard.
Les Haïtiens et certaines tribus amérindiennes le fixent au bout d’une lance avec un peu de colle, pas trop, et s’en servent en combats singuliers. Ils visent le ventre, le dard s’y plante et y reste, c’est la raison pour laquelle il ne faut pas mettre trop de colle, ils sont intelligents les Haïtiens.
Dans 90 % des cas c’est la mort assurée, le poison recouvrant le dard gardant son efficacité plusieurs années durant.
Encore une fois le repas est assuré.
Il n’y a plus le bruit  de fond gênant de la chute, Bernard va pouvoir enregistrer, la pluie a cessé, mais les arbres pleurent à chaudes larmes qui viennent s’écraser sur la bâche provoquant un bruit infernal; situation apocalyptique pour notre ami des bêtes, il est catastrophé, nuit blanche en perspective. Les “ Babounes “ ne seront pas encore au rendez - vous.

Samedi 24 . 09 . 1994

Tout le monde est debout, moi je fais la grasse matinée, Bernard filme Alfred, la prise de vue terminée il susurre de le remettre dans le sac, J.R. bon prince et grand coeur le laisse sur le rocher. Petit-déjeuner, nous rentrons à Saut Sonnelle, on démonte, on embarque tout le matériel, mais où est donc Alfred ? Qui a planqué Alfred ? Drôle de farce, la plaisanterie a assez duré, rendez - moi Alfred nous adjure J.R.
Étonnement, interrogations, supputations, accusations, supplications, menaces, nous sommes bien obligés d’admettre après avoir fouillé toute une zone de la berge que nous avons le bonjour d’Alfred.
Il s’est fait la paire, a joué les filles de l’air, a déjoué le plan machiavélique du méchant homme blanc.
Le rire étant le propre de l’homme et contre mauvaise fortune bon coeur, nous lui souhaitons bonne chance.
J.R. est sidéré, c’est une première pour lui.
Nous ramenons, vivants, deux caïmans, un Aïmara et un houi, maigre butin, les écumeurs de l’Inini ne sont pas spécialement doués pour ce genre d’exercice.
Chemin inverse, il faut tirer, pousser, porter, midi: repas froid sur le fleuve, un orage se prépare, il tombe des cordes, Bernard sort son poncho, le déplie, l’enfile, la tête ne veut pas passer, il se démène comme un diable, on se croirait au théâtre, une représentation de la légende de Faust, l’image fantasmagorique de Méphistophélès drapé dans sa grande cape, il lui manque la faux.
Toujours est - il qu’il est totalement impossible de passer la tête dans la manche d’un poncho. Impossible n’est pas Français et encore moins Amérindien, certaines tribus étant spécialistes de la réduction de têtes.
Moi je suis torse nu.
Arrêt ti - punch à Tolinga, le couple est charmant et accueillant, pour eux  une visite c’est un dérivatif pour faire une pause et parler.
Saut Sonnelle est à quelques lieues, est - ce  le ti - punch ou la joie du retour :
- Premier incident :
  On s’empale au beau milieu du fleuve sur un rocher, heureusement celui - ci est plat, plus de peur, que de mal, on se dégage.
- Deuxième incident :
  Tel le flibustier rentrant au port de Saint Domingue chargé  d’or et de richesses et arborant fièrement le drapeau à tête de mort, je prépare notre arrivée beaucoup plus modestement en nouant mon maillot blanc au bout de la pagaye. Je répète la scène en gesticulant, debout à l’avant du canoë; le moteur tousse, crachote et s’arrête, il est noyé et nous avons failli chavirer.
Il ne faut jamais donner trop d’importance aux choses qui ne le méritent pas, c’est donc en remorque que nous accostons, déconfit et honteux en ce qui me concerne, par contre je vous laisse deviner la jubilation intense de Bernard : assister J.R., une prouesse.
Juste le temps de me refaire une beauté et une santé car je me suis laissé dire qu’à Maripasoula deux Brésiliennes exercent le plus vieux métier du monde, à voir, j’ai bien dit à voir : plus du quintal. Les vieux métiers attendront ma participation à la transjurassienne vers Saint Claude.
Il nous faut acheter du pain et tout est fermé le dimanche.
J . R . connaît tout le monde  et chaque case regorge de produits divers. Je fais la connaissance du plus grand proxénète de Cayenne, au vert à Maripasoula pour des raisons assez nébuleuses. Et puis il y a Mobydick, un grand escogriffe négroïde desséché par l’alcool, ex-capitaine de crevettier déchu de ses fonctions pour des raisons faciles à deviner et qui après deux ti - punch y va de sa mésaventure rocambolesque.
Avec un compère du même acabit, les voilà partis en pirogue sur l’Inini pêcher et chasser. Tout est prévu, y compris le congélateur alimenté par un mini-groupe fonctionnant au pétrole afin de conserver en parfait état de fraîcheur gibier et poissons. S’y ajoute une bonne dizaine de litres de rhum, le pays est rude.
Arrivés sur les lieux, la gorge sèche, ils tire-bouchonnent joyeusement et copieusement, s’ensuit une dispute éthylique et orageuse qui se traduit par le départ inopiné de l’un des acteurs laissant notre capitaine affreusement seul et complètement démuni au beau milieu de la forêt sur le bord du fleuve. De retour à Maripasoula, deux jours après, rongé par le remords, le fuyard expose la situation aux gendarmes qui montent une opération de sauvetage accompagnés de  J.R.
Et, oh! surprise, sur le fleuve un congélateur avec à son bord, ramant comme un forçat (nous sommes en Guyane)
Mobydick le courageux, le téméraire, le légendaire.
Histoire véridique, filmée  par les forces de l’ordre.
C’est tout cela la Guyane, mais aussi la  magouille des hommes politiques qui s’enrichissent avec les deniers de la métropole, villas cossues, train de vie démesuré, la France est bonne et généreuse, la vache à lait. Il ne s’agit nullement d’un jugement personnel, je regarde et j’écoute.

Dimanche 25 . 09 . 1994

Jour de repos bien mérité et veille du départ pour Cayenne, les “ vacances “ sont finies.
J . R.  et Mireille nous tracent sur des cartes  I.G.N. les itinéraires forestiers et fluviaux que nous avons parcourus.
Je remercie au passage les gendarmes qui se sont montrés compréhensifs, humains et désintéressés (Guyane terre de paradoxes et de contrastes). Je flâne  désoeuvré, un peu hébété après toutes ces émotions passées.
On dit que l’homme descend du singe, facile à démontrer, il suffit de regarder Bigot et Balisson se chercher non des poux dans la tête mais des tiques sur le corps. L’inspection terminée, les parties les plus nobles ne sont pas exclues, mais rassurez - vous mesdames, nous ne sommes pas encore assez intimes pour nous gratter mutuellement à cet endroit.
Bonne nuit mon amour, je vais de ce pas dormir du sommeil du juste, ce qui est profondément injuste pour Bernard qui, jusqu’au dernier jour, la dernière minute, l’ultime seconde va veiller pour enregistrer, je vous le donne en mille, oui vous avez deviné..et vous compatissez...........Il aura amplement mérité le repos du guerrier à son retour au Mans.

Lundi  26 . 09 . 1994

Avant de partir, Patt nous offre : bananes, piments (Batoto) gingembre.
C’est un personnage de légende : Irlandais, donc roux, 65 - 70 ans, a été S.A.S. (pour les initiés) a bourlingué dans le monde entier, célèbre orpailleur, en a gardé la nostalgie et maintenant homme à tout faire à Saut Sonnelle. A survécu à trois accidents d’avion et a été le seul rescapé des trois crashs , c’est en quelque sorte trompe la mort.
Un penchant immodéré pour le jus de fruit fermenté, se refuse obstinément à parler notre langue, mais la comprend parfaitement bien. A  été riche, mais les pépites ont fondu comme neige au soleil, les femmes et l’alcool ont eu raison de la légendaire avarice Irlandaise.
Merci Patt, tu es un personnage  hors du temps.
Nous partons pour Maripasoula, le coucou nous y attend.
ADIEU Saut Sonnelle, ton souvenir ne s’estompera jamais.
L’hôtel, la “chaumière “ nous accueille une dernière fois, d’abord le bain, ensuite la douche, les chambres sont climatisées, le pied, le
Rêve

H_tel

 

L’hôtel «  la Chaumière ». Après 15 jours passés dans « l’enfer vert », il est bien agréable de se prélasser dans cet endroit paradisiaque.

 

 

piscine___la_Chaumi_re

Au mépris total des convenances les plus élémentaires, ne respectant pas le sommeil des pensionnaires et en l’occurrence le mien, Bernard se baignait à 6 heures du mat.

Bernard est boulimique de “blaff “ de crevettes, c’est une fricassée à la guyanaise, c’est parti, on est lundi pas de crevettes, le pécari en fera les frais.
Après - midi réservé aux achats, nous parcourons Cayenne de long en large, Bernard est indécis, je le suis tout autant, ce n’est pas une tâche aisée que de choisir un cadeau qui fera plaisir, entre la mygale et le morpho (papillon) naturalisés, la pépite, la machette et tous les objets en bois, d’essences diverses. Nous avons enfin mis un terme à notre casse-tête chinois ..... Devinez ..... Dans une échoppe chinoise.
Je suis moins à l’aise en ville qu’en forêt, je suis mort de fatigue.

Mardi 27 . 09 . 1994

Bernard me propose d’aller à Roura, petit village à 30 kms de Cayenne où l’on nous a indiqué un très bon restaurant.
Notre avion n’est qu’à 18 heures. Nous quittons la route colassée et nous nous engageons sur une piste en latérite, une voiture est arrêtée et son occupant tient dans ses bras un aï (paresseux)  il est chez lui, la forêt borde la piste des deux côtés. Nous le ramenons jusqu’au restaurant où il fait sensation. Son apparition fait monter de quelques centimes le cours de la bourse des actions Fuji et Kodak.

Le_plus_paresseux_

 

                 Qui «  AÏ » le plus paresseux des deux ???

Nous lui rendons la liberté et précautionneusement, avec des gestes lents et mesurés il grimpe et se perd dans un arbre qui lui est familier et indispensable, car cet animal ne se nourrit que des feuilles du bois “ canon” .
Dernier repas à Roura dans un carbet restaurant qui surplombe une crique : crabe farci, Maïpouri, un véritable délice.

 

 

 

 

Crique_gabrielle_1

La crique « Gabrielle », vue du restaurant chinois où nous nous remettons de nos émotions.

 

 

 

 

 

 

Crique_gabrielle_2

 

Même crique : Repas excellent, repus pour un bon moment. Toutes ce agapes n’arrivent pas à nous faire oublier (même le vin aidant), les images emmagasinées depuis 15 jours.

La D.C. 10 nous attend, 130 passagers, nous pourrons nous  allonger sur les sièges du milieu cette nuit.
A.O.M. nous sert le ti- punch d’accueil.
- Repas : salade niçoise, poulet boucané, salade, fromage, tartelette, à 12000 mètres, 900 km/h et moins 41° ext.
Au - dessus de Quimper il fait moins 63° ext et nous sommes le :

Mercredi 28 . 09 . 1994

Paris ensoleillé, nous avons de la chance, gare Montparnasse, plus qu’une heure, 200 kms, vers qui vont mes pensées ?
Andrée nous attend en gare du Mans. Peu reluisants, pas rasés, sales, fourbus les aventuriers, tendres effusions, un regard admiratif pour l’homme qui a osé affronter la forêt amazonienne, un grand homme tout auréolé de sa victoire sur l’enfer vert. Son petit-fils qui accompagne Andrée n’a pas les yeux assez grands pour admirer le héros, il est subjugué par ce grand père qui a fait preuve de tant d’audace et de témérité...
On me dépose rue des vanneaux, il est 10 heures, Colette est à son travail, j’ai la clé du garage mais impossible d’ouvrir. Loin des yeux, loin du coeur, la porte me serait - elle condamnée, notre amour aurait - il sombré dans les flots tumultueux de l’Inini ?
Je n’ai pas le droit d’être perplexe, de douter, pas encore...
Je traîne ma carcasse jusqu’au centre ville.
Colette est désespérée, elle a tout bonnement oublié d’ôter la barre de fermeture intérieure.
Sur le chemin du retour, je ne marche plus, je vole, je chante, j’exulte, je l’AIME.

 

   LE MANS LE 18.10.1994

    J . C . B .

Le   phénomène de la métempsycose

Troisième millénaire : année 2050

Première étape : l’indien Wayana

am_rindien_bernard

Il ne s’agit, dans un premier temps que d’une pigmentation sauvage qui épargne bizarrement la tête, mais on remarque que ce spécimen est affligé d’une hydrocéphalie récurrente ; La dégénérescence est inéluctable et aboutira au stade suivant :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

baboune_bernard

Troisième millénaire : année 2250

Deuxième étape : par transmutation génético-hormonale en Baboune à lunettes

La terre n’est plus peuplée que de mammifères primates à face nue, à mains et pieds préhensiles et terminés par des ongles ; c’est le grand retour à la planète des singes.

Publicité
Publicité
Guyane 1994
Publicité
Publicité